Cet article est le récit d’aventure de Cécile Carnimolla Mailhos, participante sur l’expédition Volcans & glaciers d’Islande, en juillet 2021.
Texte et photos de Cécile Carnimolla Mailhos
Cette traversée est organisée par Explora Project : elle est encadrée par Franck Junod, guide de haute montagne, et nous sommes 6 à prendre le départ, de 25 à 60 ans, avec peu d’expérience d’itinérance en autonomie. L’itinéraire a été tracé lors d’une traversée intégrale de l’Islande : nous sommes le premier groupe à tester ce tronçon. Pour Franck, c’est également une première. L’itinéraire est constitué d’une succession de chemins secondaires, plus ou moins bien balisés sur le terrain : carte papier, observation permanente du terrain, GPS parfois, nous nous maintiendrons en éveil. Enfin, rares seront les étapes en refuge : les bivouacs sont privilégiés. Nous sommes tous là pour savourer ce petit goût d’aventure.
Nous nous retrouvons à Reykjavik dans un appartement en plein cœur du centre historique, sur Hverfisgata, la rue commerçante principale, tout près de Culture House. Franck a voyagé avec du matériel de glacier pour tous, les tentes, brûleurs et popotes ainsi qu’avec nos repas pour 8 jours ! Tout est en vrac, réparti dans des petits sacs en tissu. 2 réapprovisionnements sont prévus. Nous nous répartissons le reste, pour les 3 premiers jours : nos sacs pèsent entre 15 à 20 kg. Avant de nous isoler dans les hautes terres, nous profitons de l’ambiance estivale et musicale de Reykjavik, autour de quelques bières et de belles assiettes. La cuisine islandaise est fine : elle propose un mélange délicat de sucré/salé à base de poisson et d’agneau. Le lendemain nous partons en minibus 4*4 surélevé sur de très gros pneus en direction du Sud du pays. Après Vik, nous remontons plein Nord sur une piste jusqu’au point de départ de notre traversée.
Alors que la péninsule de Reykjavik est très souvent dans les nuages, voire même sous la pluie, le temps dans le Sud de l’île est beau : et mieux que cela, nous bénéficions d’une belle fenêtre météo pour le début de notre itinérance.
8 jours à pieds en autonomie pour aller du lac de Langisjór à Skógar.
Nous gravissons le petit sommet Sveinstindur en haut duquel nous avons une vue à 360° époustouflante du lac de Langisjór. Au Nord, nous identifions le glacier Vatnajökull et tout autour de nous, un dédale de lacs, rivières, volcans, à perte de vue. Très vite, nous nous retrouvons sur un terrain vierge de tout marquage, à devoir trouver notre route, en observant le terrain. Nous sommes seuls au milieu d’une nature immense, autonomes sur plusieurs jours : quel bonheur de se sentir juste bien, sans aucune appréhension, à vivre une expérience hors des sentiers battus.
Nous installons notre premier bivouac adossé à une paroi, sur la partie la plus élevée du lit d’une rivière : les sardines des tentes ont du mal à se maintenir en place. Explora Project nous a fourni des tentes Samaya, connues pour leur légèreté et adaptées à toutes les conditions. Franck ne perd pas de temps. Il met bien vite les casseroles à chauffer : une soupe chaude, du riz parfumé, un carré de chocolat… tout simplement.
Depuis ce promontoire d’où nous dominons le lit de la rivière Skaftá, nous sommes très vite confrontés à l’immensité et à nos choix.
Nous comprenons que nous allons devoir descendre sans qu’aucune trace de pas ni balisage ne soit visible. Franck a le nez sur la carte et nous guide sur ce terrain vierge, découvrant lui-même par où il nous faut passer. J’adore cette impression d’être une fourmi, petite mais déterminée à avancer. Pas après pas, nous atteignons d’autres lieux, qui nous poussent à nous dépasser, comme cette partie raide et étroite surplombant en hauteur la rivière : une simple inattention et nos sacs pourraient facilement nous déséquilibrer et nous faire chuter. Chacun prend sur soi et ensemble nous progressons.
Nous traversons des déserts minéraux à perte de vue : seule une mousse verte et rase recouvre parfois certains pics. Les voilà, les volcans d’Islande qui offrent ces paysages emblématiques, austères, âpres. Au sol, les quelques végétaux qui poussent sont des espèces de plantes grasses avec pour certaines quelques minuscules fleurs. Aucun animal ne semble vivre ici.
Et quand ce n’est pas d’immenses zones arides, ce sont des lits de rivière, avec des méandres, à traverser : mais où ? où le courant est-il le moins fort ? où le fond est-il le moins profond ? où passer pour en traverser le moins possible ? L’eau est glaciale au point où nos pieds peuvent très vite devenir douloureux. L’appréhension de glisser et de mouiller notre sac nous rend très prudents. Malgré tout, on y prend goût : une journée sans gué à traverser nous manquerait presque. J’aime cette touche d’adrénaline qui fait de cette traversée une aventure excitante, cette pincée de dépassement de soi qui nous fait grandir.
L’itinéraire ne présente pas d’autre difficulté physique : le chemin est plutôt facile, le dénivelé très raisonnable et les paysages et terrains très variés. Nous marchons beaucoup chaque jour mais à aucun moment je n’ai compté les heures tellement c’était naturel. Il suffit de mettre un pas devant l’autre et de se laisser porter. Je suis éblouie par tout ce que je vois : la nature est si belle, si forte, si puissante et si fragile à la fois. Les paysages se gravent dans ma mémoire. La photographe que je suis est au paradis : je ne sais pas où donner de la tête.
Nous choisissons les abords moussus d’une rivière qui serpente dans une vallée en contrebas d’un refuge pour poser notre deuxième bivouac. La journée a été magnifique : la lumière est chaude ce soir et nous en profitons longuement. L’eau fraîche et limpide qui coule, bien que froide, nous donne l’occasion de faire un brin de toilette et de chauffer de l’eau pour des céréales. Nous découvrons et dégustons les gâteries qu’Explora Project nous a données et que Franck a amené, comme la tomme et le saucisson. Nous ne manquons de rien : graines, figues, dattes, bananes séchées, chocolat, biscuits, thé, café, lait, soupes, riz, pâtes, semoule, couscous, pain…
La nuit n’existe pas en ce mois de juillet. Pour autant, je n’ai absolument aucun mal à trouver le sommeil. La promiscuité avec ma compagne de tente, le matelas gonflable sur lequel j’ai tendance à rouler quand je le gonfle trop, la toilette très limitée… qu’importe !
La faille d’Eldgjá, la gorge de feu… c’est comme si la terre s’était ouverte et qu’une énorme cicatrice ne s’était jamais refermée.
La plus grande fissure éruptive à la surface de la planète s’impose à nous rapidement au début de notre troisième étape : en 934 et pendant 6 ans, le volcan Katla a été en éruption, déversant 18 km3 de lave sur près de 40 km. Nous plongeons littéralement dedans par une descente amusante dans la pouzzolane. Un peu comme dans les westerns, nous voilà traversant la faille, de face, à perte de vue : 8 km de long sur 270 mètres de profondeur parfois et 140 mètres de large… absolument gigantesque à hauteur d’homme ! La surprise du jour, c’est la cascade de Ofaerufoss. Puissante, sur-dimensionnée, elle nous laisse sans voix jusqu’à ce que Morgane et Loïc décident de s’y baigner. Dans l’après-midi, nous passons par un refuge qui nous a gardé un sac de provisions.
Il a fait chaud aujourd’hui : nous avons marché 7h pour seulement 9 km et 500 mètres de dénivelé : nous sommes plutôt lents car nous avons eu de nombreux gués à passer. Cette journée se termine par un nouveau bivouac de rêve au bord d’une rivière paisible sur un tapis d’herbe bien sec. Nous cherchons une partie plus profonde pour nous baigner entièrement, en serrant les dents quand même : l’eau est bien froide. Je mesure à quel point cette belle météo agrémente notre traversée. On ne peut pas rêver mieux.
Une remontée face au vent glacial avec, à la clé, une douce récompense…
Nous traversons des névés et marchons sur des pousses fluorescentes de toute beauté. Nous nous endormons au soleil à 2 reprises, abrités du vent derrière de gros rochers, fatigués par cette remontée face au vent glacial.
Nous arrivons au lac Holmsarlon : sa couleur turquoise dénote dans le paysage. Mon regard est aimanté par ses couleurs. Nous prenons la direction de la source chaude Strútslau : nous en avons rêvé toute la journée. Alors que nous sommes tout près, une rivière fougueuse nous barre la route : le courant puissant et la profondeur évidente, nous empêchent d’y aller. Nous cherchons des passages possibles un peu plus en amont et en aval mais sans succès. Nous rebroussons chemin dans cette vallée glaciaire et devons admettre la réalité : nous allons devoir traverser plus d’une dizaine de gués, les uns après les autres. Ils ne sont pas profonds : par contre ils sont glaciaux au point d’avoir vraiment très mal.
La récompense suprême vient juste après : la source Strútslau nous offre un bain vraiment chaud auquel on ne résiste pas. Le fond de vase, sans visibilité, ne nous rebute pas. Nous nous allongeons dans très peu d’eau très chaude, en plein soleil, au milieu de cette vallée, avec le lac en toile de fond. Décidément, les jours se succèdent, avec leur lot de surprises, toutes aussi naturelles les unes que les autres !
La journée se termine au refuge au pied d’un dédale de cours d’eau. Quelques 4*4 surélevés sont là : je réalise soudain que cela fait 4 jours que nous n’avons croisé personne. Il fait froid dehors : toujours ce vent glacial qui souffle… Aussi, voilà une étape un peu plus confortable qui tombe bien. Nous profitons d’une sommaire et bienfaitrice douche chaude. Nos places sont réservées dans le dortoir en haut du chalet principal. Nos hôtes, gardiens bénévoles du refuge, préparent un barbecue qui excite nos papilles, et nous offrent généreusement ce qu’ils ont en trop : les cordons bleus du groupe se débrouillent à préparer de belles assiettes chaudes constituées de délicieuses côtelettes d’agneau, de pommes de terre et légumes grillés.
Curieux de notre différence, nos hôtes nous interrogent sur notre parcours et s’étonnent avec un brin d’admiration de nous voir engagés dans une aussi longue traversée. Le vent soulève beaucoup de poussière dans la vallée et les gués devant nous sont nombreux à passer sur cette route. Aussi ils nous recommandent un itinéraire moins exposé au départ du refuge, que nous allons suivre. Nous sommes touchés par leur prévenance et leur gentillesse.
Ambiance minérale à perte de vue à travers le désert de Maelifellssandur.
Cette cinquième journée débute par une très longue trace dans une zone très minérale. Nous observons au loin le nuage de sable que nous avons évité. La météo est moins belle que les jours précédents : le ciel est gris et les vestes sont de sortie.
En milieu de journée, nous rejoignons la troisième étape du trek du Landmannalaugar au niveau du refuge Hvanngil : la longue traversée du désert noir de Maelifellssandur, où tout est ton sur ton en dehors de nos vestes et protections de sacs à dos, est sublime. Le cône solitaire de Maelifell se dresse comme un phare au milieu de cet océan minéral : l’atmosphère est particulièrement austère. J’aime cette ambiance de fin du monde : les images du film La Route me reviennent. Un immense sentiment de liberté m’envahit. Un pas devant l’autre et la planète comme terrain de jeu, tout simplement.
Notre étape se termine sous un crachin au refuge Emstrur Hut. Nous installons nos tentes et nous mettons à l’abri sous la tente de mess : heureusement qu’elle existe ! Personne ne se plaint de la météo : c’est ça l’Islande…
Des gorges de la Markarfljót jusqu’à Thórsmörk.
Aujourd’hui, nous longeons les glaciers de Mýrdalsjökull et Eyjafjallajökull. Sur la fin, dans la vallée, nous serpentons entre des bouleaux nains : ce sont les tout premiers arbres que nous voyons. La fin, à l’approche de Basar Hut, paraît même bucolique tellement elle est verdoyante : les fleurs sont partout au bord du chemin.
Cette étape est confortable : nous avons un chalet et nous sommes en demi-pension. Ambiance lodge et petits plaisirs culinaires autour d’une bière. On recharge toutes les batteries d’un coup ! C’est notre deuxième point de ravitaillement : on y retrouve un gros sac plein de provisions toutes fraîches pour les 2 dernières étapes ainsi que les crampons et baudriers. Franck nous aide à ajuster le matériel pour pouvoir marcher sur les glaciers demain. Chaque étape nous réserve son lot de nouveautés.
Nous avons rendez-vous avec les géants de glace mais pluie battante et vent sont au menu… une chute de neige est attendue en altitude !
Au niveau du refuge Fimmvörduhals Hut, nous hésitons sur l’itinéraire. Tandis que nous remontons le lit de la rivière dans les grosses pierres polies par le courant jusqu’à un pont mobile sur roues, un gros 4*4 bleu, avec ses très gros pneus hauts et son pot d’échappement qui dépasse du toit, nous fait une démonstration de passage de gué : il plonge littéralement dans l’eau et remonte le courant, la partie basse des portières sous l’eau. Alors qu’il reste un gué à passer, un 4*4 se présente et semble prendre le même chemin que nous : Morgane lui fait signe et négocie si efficacement que nous voilà invités et même aidés à monter sur la plateforme arrière. Nous traversons ce dernier gué bien au sec, pas peu fiers et bien amusés par l’expérience.
Après une longue descente le long de la rivière, nous commençons l’ascension. Le chemin suit une crête au pied d’un volcan : j’adore ces passages aériens mais malheureusement la météo gâche un peu le plaisir. Nous atteignons ensuite un passage un peu technique où il nous faut nous aider des mains. À ce stade là nous commençons à être mouillés et à ressentir le froid mordant : nous ne nous sommes pas préparés ce matin pour cette météo. Aussi, au premier abri possible, je sors le pantalon de pluie, le bonnet et les gants.
Un autre passage un peu technique se présente à nous tout en continuant à monter jusqu’à atteindre une altitude où tout est absolument blanc sauf quelques amas et blocs de lave. Franck a du mal à trouver le bon itinéraire dans ces conditions de faible visibilité : les piquets jaunes sont difficiles à localiser dans le brouillard. Après une marche qui me paraît interminable, nous atteignons le refuge : il est situé au milieu des 2 glaciers que nous ne discernons malheureusement pas. J’ai les chaussettes et sous-vêtements trempés : la pluie fine pénètre partout.
La gardienne du refuge nous accueille et nous demande de nous dévêtir dans l’entrée : elle nous propose de nous mettre au chaud dans la pièce unique où d’autres randonneurs sont déjà en train d’attendre. Les vêtements sont étendus partout. Un petit poêle a du mal à fonctionner. Nous ne sommes vraiment pas frais mais l’équipe a le sourire. La gardienne nous avertit bien vite qu’une chute de neige est attendue ; que dormir sous tentes dans ces conditions ne va pas être une partie de plaisir ; qu’elle n’est pas certaine de pouvoir nous garder au refuge cette nuit car elle attend d’autres randonneurs qui ont réservé. Nous prenons la décision de repartir, après nous être restaurés, pour nous mettre à l’abri plus bas.
La fin de cette journée me paraît interminable : nous doublons l’étape, avec 27 km et +/- 1300m de dénivelé en 11 heures de marche. Fort heureusement, ce n’est que de la descente en pente douce : nous sortons assez rapidement des conditions météo difficiles et n’avons de cesse de marcher le long de la gorge profonde formée par la rivière Skoga. Quand nous atteignons la spectaculaire cascade Skógafoss, plus personne n’est motivé pour planter sa tente.
Au total nous avons marché 137 km pendant 7 jours, entre failles, canyons, rivières, volcans, glaciers, déserts… et passé une soixantaine de gués.
Nous avons trouvé que l’itinéraire était bien tracé, réservant son lot de surprises quotidiennes, prévoyant des étapes plus confortables pour recharger les batteries. Nous avons tous expérimenté l’itinérance à pied, en autonomie et beaucoup appris pour pouvoir renouveler l’expérience. Nous avons été éblouis par des paysages à couper le souffle aussi incroyablement divers que grandioses. Nous avons profité d’une météo sublime sur plus de la moitié de la traversée et en particulier sur les étapes de bivouac. La première partie de cette traversée est très sauvage, peu parcourue : j’y conserve mes plus beaux souvenirs.